Le Québec, la France, et «Soeurs volées»
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Imaginons qu’un journaliste français écrive un livre sur la violence faite aux jeunes filles noires dans les banlieues pauvres de l’Hexagone. Gageons que les médias français ne seraient pas avides d’en rendre compte, gagnés par la lassitude des problèmes persistants des banlieues, insensibilisés. Maintenant, imaginons qu’un journaliste canadien vivant en France se jette sur la question, et promeuve son livre en France et au Canada. Il est bien possible que les médias français, curieux de connaître un point de vue venu d’ailleurs, sonnés par des vérités qu’il n’aiment pas toujours regarder, titillés par le fait que le sujet fasse l’objet d’articles outre-Atlantique, en rendraient compte davantage.
C’est un peu ce qui se passe avec « Soeurs volées », je crois. Installée au Québec depuis peu (bientôt 4 ans), je m’attendais à une volée de bois vert médiatique, ou bien à un silence de mort, sur le thème « Que vient-elle nous donner des leçons, cette maudite Française, et de quoi je me mêle. » Pas du tout. Mais pas du tout. Certes, aucune émission de télé québécoise ne m’a invitée, à l’exception logique du réseau autochtone APTN. Mais l’accueil fait au livre est notable.
Trois émissions de Radio Canada (Montréal et Toronto), un gros article à la Une dans le Devoir, deux articles dans La Presse, un dans le Journal de Montréal, un blog de Louise Gendron sur le site de Châtelaine, un bel article dans le Droit (Ottawa) (voir la revue de presse ici). Certains journalistes sont carrément émus, bouleversés, et me le disent; tous attribuent à mes origines françaises le fait que je me sois intéressée au sujet, et ne manifestent aucun agacement, mais plutôt de la reconnaissance. Il me semble que c’est une bonne nouvelle. On est peut-être entrés dans un nouveau cycle du regard sur le monde autochtone, dans le « post-Oka ». Peut-être. Des documentaires comme Québékoisie ou L’Empreinte, qui portent sur les rapports entre Québécois et Autochtones, sont repérés, promus, ils intéressent.
La France, maintenant. Un mot pour dire que certains médias québécois ont semble-t-il été stimulés à l’idée que les médias français s’intéressaient au livre. Ce n’est pas choquant ; c’est normal ; je suis certaine qu’il en serait de même dans l’autre sens (cf ci-dessus). Un autre mot pour dire ma surprise à voir tant de médias français généralistes faire état de « Soeurs volées » et/ou demander des entrevues : Canal +, Europe 1, les Inrockuptibles, le Monde, Le Journal du Dimanche, bientôt le Canard Enchaîné, peut-être Télérama et la Croix (et TV5 Monde, mais c’est moins étonnant). Je ne m’y attendais pas (voir là aussi la revue de presse). Je pensais que les tourments politiques et sociaux de mon pays d’origine empêcheraient les médias de regarder ailleurs. Et bien non. Je salue au passage Thomas Chauvineau, de Canal +, dont le reportage complet et documenté m’a agréablement surprise.
Et maintenant? Je ne sais pas si les ventes vont suivre l’exposition médiatique. Mais je suis contente que la tragédie des femmes autochtones assassinées ou disparues soit mieux connue. Je suis contente qu’une jeune leader autochtone remarquable comme Widia Larivière bénéficie d’une tribune supplémentaire avec ce livre. Je suis contente que Maisy et Shannon continuent d’exister dans nos mémoires. Je suis contente que la force de Maria et Laurie, la tante et la mère de Maisy, et la résilience insensée des femme autochtones, soient désormais connues. Je reçois des messages touchants de lectrices et lecteurs. J’espère très fort que ce livre aura servi à quelque chose. Et je remercie, in fine, deux femmes sans qui, etc. Laurie Odjick, la maman de Maisy, qui m’a ouvert sa porte. Et Alexandre Sanchez, éditrice chez Lux, qui a cru dès le début que le livre aurait une résonance au Québec et en France.
Thanks, friends!